Le Sénat rejette une proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique

Publié le 16 mai 2023
Source : Banque des Territoires, Avril-mai 2023


Un groupe de sénateurs a porté début avril devant la commission des affaires économiques du Sénat une proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique. Jugée « à contretemps », et dont les dispositions seraient « soit contreproductives, soit déjà satisfaites par le droit existant », la proposition de loi a été rejetée en séance publique le 3 mai. Dans l’attente notamment des conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments, pour laquelle certains acteurs de la lutte contre la précarité énergétique ont été auditionnés.

Les mesures proposées pour enrayer la précarité énergétique

Plusieurs mesures venant modifier le code de l’énergie et le code de la construction et de l’habitat ont été proposées par un groupe de sénateurs :

  • Recentrer l’effort budgétaire sur l’éradication des passoires thermiques :
    • En recentrant les aides publiques vers des rénovations énergétiques performantes et globales, plutôt que « monogestes » ;
    • En donnant priorité, dans la loi, à la résorption des passoires thermiques ;
    • En donnant comme objectif un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires.
  • Engager une stratégie de rénovation plus inclusive :
    • En garantissant l’égal accès au service public de la performance énergétique de l’habitat (SPEEH) sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones de faible densité de population ;
    • En confiant aux guichets France Rénov’ une mission d’identification des ménages en situation de précarité énergétique en lien avec l’Observatoire national de la précarité énergétique ;
    • En permettant au propriétaire occupant de réaliser les travaux de rénovation globale en plusieurs tranches dans le cadre d’un parcours financé et accompagné.
  • Promouvoir les techniques et les matériaux les mieux adaptés aux spécificités locales des différents territoires, notamment en Outre-mer.  

>> Consulter la proposition de loi  visant à résorber la précarité énergétique.

Rejet en commission et en séance publique du Sénat

Examinée le 12 avril, la proposition de loi a été rejetée en commission des affaires économiques sur proposition de son rapporteur, Dominique Estrosi Sassone (Alpes-Maritimes, LR) estimant que les mesures proposées par le texte « doivent faire l’objet d’un approfondissement » à l’heure où d’autres échéances sont à venir et notamment la commission d’enquête du Sénat sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation des bâtiments lancée en janvier dernier. Le sujet de la précarité énergétique y fait actuellement l’objet d’un examen renforcé (dont l’audition d’acteurs œuvrant dans le domaine – voir en bas de l’article) et les conclusions et les recommandations de cette commission d’enquête devraient être publiées au début de l’été.

Autres échéances à venir : la nouvelle loi de programmation quinquennale sur l’énergie qui doit être présentée par le gouvernement d’ici juillet (celle-ci est censée fixer dans la loi les objectifs de la politique énergétique, dont ceux sont afférents à la précarité énergétique), l’actualisation de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ou encore la restitution des travaux du Conseil national de la refondation sur le logement, prévue fin avril/début mai.

Sur le fond, plusieurs réserves ont été émises sur la proposition de loi, justifiant son rejet :

  • Sur le conditionnement des aides publiques à la réalisation d’une rénovation performante et globale, celui-ci risquerait de « déstabiliser le secteur » et la volonté est de préserver les dispositifs en place (MaPrimeRénov’ et MaPrimeRénov’ Sérénité) ainsi que la possibilité de poursuivre un parcours de rénovation par étapes et des gestes isolés de travaux « importants d’un point de vue socioéconomique ».
  • L’objectif d’un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires présenterait « une difficulté philosophique : chacun doit contribuer, même de façon minime, selon ses moyens » et un risque de retour aux dérives commerciales vécues lors des opérations d’isolation à 1 euro.
  • Sur la priorisation de la rénovation énergétique des passoires thermiques, celle-ci ne semblerait pas pertinente  au vu de l’objectif de massification des rénovations énergétiques  et des objectifs posés par la loi Climat et résilience.
  • Sur la garantie de l’accès au SPEEH, la loi Climat et résilience a prévu ce service harmonisé en cours de déploiement : les Espaces conseils France Rénov’ et les Accompagnateur Rénov’.
  • Sur l’extension jusqu’à 6 ans du délai pour mettre en œuvre la rénovation globale réalisée par le propriétaire occupant : « La plupart des acteurs considèrent qu’une rénovation globale doit idéalement être réalisée en une seule étape ou, au maximum, deux ou trois dans un délai limité. […] il s’agit plutôt de travailler sur les modalités de financement par subvention, prêt ou portage selon la situation du ménage voire la création de caisses d’avance comme l’idée en a émergé lors de la commission d’enquête. »

>> Consulter le compte-rendu d’examen du projet de loi en commission.

Hostile à ce texte, le gouvernement a également pris position lors de la séance publique en la personne du Ministre délégué chargé de la Ville et du Logement Olivier Klein. Tout en plaidant pour les rénovations par gestes « qui permettent de concrétiser une première étape et d’emmener les personnes réticentes sur le chemin de la rénovation énergétique », celui-ci a mis en avant les actions en cours sur le sujet comme par exemple le lancement d’une concertation avec les parties prenantes de France Rénov’ sur l’avenir du réseau et de son financement, l’ouverture de la plateforme d’agrément des accompagnateurs Rénov’, la création d’un nouveau programme de certificats d’économies d’énergie (CEE) pour financer Mon accompagnateur Rénov’, l’installation le 13 avril d’un comité des partenaires de la rénovation du parc locatif privé ou encore l’objectif fixé par la Première ministre le 26 avril dernier d’atteindre un guichet France Rénov’ par intercommunalité d’ici 2025. 

Jugé « à contretemps », et dont les dispositions seraient « soit contreproductives, soit déjà satisfaites par le droit existant », la proposition de loi a été définitivement rejetée en séance publique le 3 mai par le Sénat.

Des acteurs de la lutte contre la précarité énergétique auditionnés

Dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation des bâtiments, plusieurs acteurs de la lutte contre la précarité énergétique ont été auditionnés le 11 avril, notamment l’Observatoire national de la précarité énergétique, la fédération Soliha, la Fondation Abbé Pierre, Stop exclusion énergétique ou encore Procivis. Si les personnes auditionnées ont salué les efforts menés ces derniers temps sur le sujet, elle ont insisté sur la nécessité d’aller plus loin, l’instar d’ Isolde Devalière, cheffe de projet à l’ONPE, qui dénonce un « empilement de dispositifs » de lutte contre la précarité énergétique au détriment d’« une politique nationale à proprement dite » qui nécessiterait un délégué interministériel dédié.

Les acteurs ont par ailleurs insisté sur la nécessité d’accompagner les ménages, notamment les plus précaires (en appelant pour certains à la gratuité et la neutralité de Mon Accompagnateur Rénov’, à la formation à l’accompagnement social pour d’autres ou encore l’importance d’apporter de la lisibilité au parcours de l’usager) et l’importance de créer des synergies territoriales avec l’implication des collectivités. Ils ont pu s’exprimer également sur la question du ciblage des ménages (propriétaires occupants, bailleurs, copropriétés) ou encore celle du financement des travaux de rénovation.


Pour en savoir plus consulter les articles de la Banque des Territoires « Une proposition de loi de lutte contre la précarité énergétique jugée trop fragile » et  « Fin de parcours pour la proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique ».

Lire également l’article « Rénovation énergétique : retour sur la visite de la commission d’enquête du Sénat en Isère ».