L’Europe a besoin d’une stratégie politique pour mettre fin à la précarité énergétique

Publié le 26 avril 2021
Source : E. Magdalinski, M. Delair, T. Pellerin-Carlin, Institut Jacques Delors, Policy Paper n°259, février 2021


Une publication de l'Institut Jacques Delors

Think Tank européen fondé par Jacques Delors en 1996, l’Institut Jacques Delors s’est donnée comme objectif de produire des analyses et des propositions destinées aux décideurs européens et aux citoyens, ainsi que de contribuer aux débats relatifs à l’Union européenne.

Dans le contexte de crise sanitaire actuel qui contraint des millions d’européens à rester chez eux, et pour certains dans des logements mal chauffés, inconfortables voir délétères pour leur santé, l’Institut propose un « Policy Paper » de 28 pages visant à offrir un aperçu de la précarité énergétique dans l’Union européenne et de la manière dont les États membres de l’UE traitent actuellement cette question. Il s’agit également de proposer que l’UE et les Etats membres adoptent une stratégie politique se donnant pour objectif de sortir tous les européens de la précarité énergétique, et qui soit un élément majeur du Pacte vert pour l’Europe.

  • En première partie, il est proposé de revenir sur la définition de la précarité énergétique, sa mesure, ses causes et ses conséquences à l’échelle européenne.

Il n’existe pas à ce jour de définition commune de la précarité énergétique en Europe et la Commission européenne a insisté en 2020 (en présentant the Building Renovation Wave) sur la nécessité pour les États membres de se doter d’une définition. Pour sa part, la Commission présente la précarité énergétique comme « l’incapacité des ménages à garantir chez eux les niveaux de services énergétiques socialement et matériellement nécessaires« .

Quatre indicateurs principaux sont ainsi utilisés pour déterminer si un foyer se trouve en situation de précarité énergétique, il s’agit de foyers :

  1. ayant des difficultés à maintenir une température adéquate dans le logement : on compte en 2019 30 millions d’européens rencontrant cette difficulté ;
  2. ayant des difficultés à payer les charges et donc les situations d’impayés d’énergie : cela concerne 6,2% des européens ;
  3. qui consacrent une part élevée de leurs revenus aux dépenses énergétiques : c’est le cas de 15,5% des foyers européens ;
  4. ayant, inversement, une dépense énergétique anormalement faible : 15,4% des foyers européens seraient concernés.

L’observatoire européen de la précarité énergétique propose 24 indicateurs secondaires pour mieux appréhender le phénomène.

L’étude souligne deux dimensions sous-estimées de la précarité énergétique que sont la climatisation et les transports.

En termes de profils, les ménages les plus touchés sont les européens à faibles revenus et plus particulièrement les femmes. Plus d’un cinquième des locataires dans l’UE affirment par ailleurs avoir des difficultés à chauffer leur logement en hiver et à payer leurs factures, à contrario les familles propriétaires de leur logement soit en moyenne moins touchées par le phénomène. Enfin, l’analyse des données par pays montre, alors que les hivers sont plus froids en Europe du Nord, que c’est en Europe du Sud que la précarité énergétique est la plus importante. Certains chercheurs parlent dès lors de « fracture énergétique » géographique et sociale séparant l’UE en deux. Cela s’explique pour plusieurs raisons cumulées dans certains pays du Sud : des tarifs élevés de l’électricité et du gaz, un risque de pauvreté élevé ainsi que les mauvaises performances énergétiques des logements, ce dernier point jouant un rôle clé dans la précarité énergétique.

Cette « fracture » géographique en matière de précarité énergétique en Europe gagne à être approfondie dans la mesure où les estimations actuelles sur la précarité énergétique se focalisent sur les conditions hivernales, donnant un aperçu partiel du problème. Certains chercheurs ont en effet montré que la majorité des États membres a une part équivalente ou supérieure de foyers ayant des difficultés à maintenir leur logement suffisamment frais en été plutôt que chaud en hiver, ces foyers se concentrant dans les régions Sud.

Idem pour la question des transports : les données sur la précarité énergétique en matière de transport restent succinctes et les difficultés rencontrées par les populations en la matière sont dépendantes des politiques menées dans chaque pays.

  • La seconde partie de la publication s’attache à analyser les mesures mises en œuvre par les États membres et par l’UE pour lutter contre la précarité énergétique.

Celles-ci divergent fortement d’un État à l’autre et notamment du fait d’une absence de définition claire du problème. Il y a notamment un clivage entre ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une question sociale et ceux qui l’envisagent également comme une question de politique énergétique. En conséquence, les mesures prises sont différentes : traitement palliatifs via des aides au paiement des factures ou mesures préventives axées sur l’amélioration des performances énergétiques des logements. L’Espagne, la Belgique et la France ont quant à elle adopté des approches mixtes avec des mesures d’efficacité énergétique ciblant en priorité les consommateurs vulnérables.

Côté UE, la Commission a mis en place différentes actions en soutien à celles des États membres : partage d’expériences (via l’Observatoire européen de la précarité énergétique, le programme Interreg Europe), législations successives (définitions, directives sur la performance énergétique, etc.), financements (via le programme « Energie Intelligente pour l’Europe », Horizon 2020, etc.) et outils, tels que la récente stratégie pour une « Vague de rénovation des bâtiments » qui vise à accélérer la rénovation globale des bâtiments à faible efficacité énergétique en Europe, ou encore la publication d’une liste de recommandations pour lutter contre la précarité énergétique.

  • La dernière partie de la publication, « recommandation », s’attache à proposer d’introduire la question de la précarité énergétique en tant que composante à part entière de la stratégie politique de l’UE, en renforçant la coalition politique présente au sein du Pacte Vert. Il est également proposé de manière très concrète le discours narratif à construire et les objectifs intermédiaires à atteindre pour que l’objectif de sortir tous les européens de la précarité énergétique soit un élément clé du Pacte vert pour l’Europe.

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L’Europe a besoin d’une stratégie politique pour mettre fin à la précarité énergétique

E. Magdalinski, M. Delair, T. Pellerin-Carlin, Institut Jacques Delors, février 2021