Portrait de membre : Sandrine Rodot, Chargée de mission lutte contre l’habitat indigne et Conseillère habitat santé aux Compagnons Bâtisseurs Provence

Publié le 7 janvier 2021


Depuis 1979, les Compagnons Bâtisseurs Provence[1] accompagnent les habitants dans le cadre de chantiers d’auto-réhabilitation accompagnée. Sandrine Rodot, spécialisée sur la précarité énergétique et les impacts du mal-logement sur la santé des occupants, contribue à la lutte contre l’habitat indigne au sein de l’association…

> Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a conduit à intervenir sur la précarité énergétique ?

J’ai une formation initiale en architecture d’intérieur et j’ai toujours été attirée par les questions de participation des habitants.

Il y a 18 ans j’ai été embauchée aux Compagnons Bâtisseurs Provence en tant qu’animatrice technique sur des ateliers de quartier. Le principe des ateliers de quartier, basé sur l’entraide entre les habitants, consiste à animer des chantiers d’auto-réhabilitation accompagnée (ARA)[2] chez les ménages à partir de leurs projets. Cette approche favorise le transfert de compétences et de savoir-faire entre l’animateur et les habitants, et permet d’améliorer le bien-être au sens large.

Assez rapidement j’ai commencé à développer les notions de confort thermique et de qualité de l’éclairage car lorsqu’on anime des chantiers, il y a toujours un moment où l’habitant nous fait part de ses problèmes de factures d’énergie. C’est encore plus prégnant aujourd’hui. Même dans le cadre d’ateliers collectifs, quel que soit le sujet abordé (droits et devoirs, fabrication de produits ménagers, sensibilisation à la qualité de l’air intérieur, etc.), la question de la facture d’énergie émerge.

C’est comme cela que j’ai commencé à travailler sur un projet expérimental dans le Var sur la lutte contre la précarité énergétique. Je me suis formée au sujet auprès de l’association GEFOSAT avec d’autres collègues puis avec le GERES et la thématique m’a fortement intéressée. J’ai ensuite suivie une formation de Conseillère habitat santé : cela me semblait évident, en travaillant sur la précarité énergétique, de pouvoir aborder avec les familles leurs problèmes de moisissures, d’inconfort thermique, de pouvoir les conseiller sur ces questions ; de comprendre les phénomènes, l’impact sur l’organisme, de construire des argumentaires.

Aujourd’hui, je suis chargée de mission lutte contre l’habitat indigne, c’est un poste transversal à la croisée entre précarité énergétique, santé et indécence.

> En quoi consiste votre mission principale au sein de l’association ?  

La moitié de mon travail est consacrée à la commission technique pour le logement décent du Var, un dispositif qui s’inscrit dans le cadre du PDLHI[3]. Il s’agit de mettre en application le décret décence du 30 janvier 2002 sur le logement décent, qui n’est pas toujours facile à faire appliquer auprès des propriétaires. Depuis 2014, avec la loi ALUR, via les pôles de LHI, l’habitant peut signaler son logement au PDLHI (lorsqu’il n’a pas été entendu par son propriétaire). En général les principaux problèmes déclarés sont des problèmes de ventilation, de chauffage insuffisant, de moisissures, d’électricité. Le locataire saisit le PDLHI via une fiche d’auto-diagnostic qui arrive à un guichet unique. Lorsqu’il s’agit d’allocataires, ces fiches sont transmises directement à la CAF qui missionne ses propres opérateurs : c’est donc en tant qu’opérateur que j’interviens dans le Var : je réalise la visite du logement pour dresser un constat de non-décence. On aimerait dresser des constats de décence, aller dans un logement qui soit signalé par erreur et qui soit décent, mais généralement les gens ne se trompent pas trop ! Ce constat permet la conservation des allocations logement pour inciter le propriétaire à faire les travaux. Une fois que le propriétaire a réalisé les travaux, et l’atteste par des factures, on fait une seconde visite qui aboutit à un nouveau constat sur la mise en conformité du logement et les allocations logement sont restituées en intégralité au propriétaire. C’est un dispositif qui fonctionne très bien, il faut en général 6 à 8 mois pour sortir le logement de la non-décence et il y a plus de 80% de sorties positives. On a toujours fait de la médiation avec les bailleurs mais avant ce dispositif, introduit en 2014 par la loi ALUR, on était plutôt sur des temps beaucoup plus longs, de 18 mois, c’était beaucoup plus difficile de convaincre les bailleurs.

Ma seconde mission vise à accompagner les ménages en précarité énergétique et s’inscrit dans le cadre des missions d’intervention classiques de l’association.

> Dans ce cadre, comment intervenez-vous auprès des ménages en précarité énergétique et en quoi consiste l’accompagnement proposé ?

Les travailleurs sociaux ou les associations nous transmettent une fiche d’identification, cela nous semble indispensable que le repérage passe par une tierce personne. En fonction du contenu on se répartit les interventions avec mes collègues, et s’il s’agit d’une problématique liée à l’énergie, c’est moi qui vais rencontrer la famille à son domicile.

La première visite a pour objectif de se présenter à la famille et d’expliquer la démarche et la seconde de réaliser le diagnostic. Cette première visite se déroule toujours en présence du professionnel qui a signalé la situation : travailleurs sociaux de la CAF, du CCAS ou association. Lors de la seconde visite, je commence par faire le tour du logement, le diagnostic du bâti, de la décence, des équipements, les habitudes de vie, pour identifier toutes les problématiques du ménage. Un rapport de visite est ensuite réalisé avec des propositions concrètes. Ce rapport se rapproche du constat de non-décence, car ce qui fait basculer le ménage en précarité énergétique c’est souvent l’indécence du logement : la personne va être repérée car elle a des factures d’énergie importantes, une sensation de froid, du mal à se chauffer mais de fait tous les critères d’indécence sont fréquemment réunis : installation électrique défectueuse, fenêtres qui ne ferment pas, parties communes dégradées… Le rapport est soit envoyé à la famille, soit présenté oralement si la famille a des difficultés de compréhension. Ce document constitue une étape importante car les habitants ne comprennent pas toujours pourquoi ils ont froid dans leur logement, pourquoi leurs factures sont si élevées. On explique alors sur quoi on peut agir mais aussi sur quoi on ne peut pas agir. Les photos thermiques appuient souvent notre argumentaire, car les personnes n’apprécient pas toujours bien nos conseils ou nos propositions de modifications d’usages, d’aménagement. Il est donc important d’amener les choses avec délicatesse et avec des arguments techniques : la caméra thermique permet de montrer que la chaleur se diffuse mal, par exemple, lorsqu’un chauffage est obstrué. Puis dans la majorité des cas on mène ensuite des interventions directes qui vont avoir un impact positif sur le confort thermique (installation avec la famille de rideaux thermiques, pose de tapis en rez-de-chaussée par exemple). Dans tous les cas s’il y a d’autres choses à faire dans le logement qui ne concernent pas directement la précarité énergétique, on le prendra en charge quand même puisque ces interventions s’inscrivent dans la globalité de notre action. On fait également de la médiation avec les bailleurs, on les informe sur les aides, on fait le lien avec les autres opérateurs pour les aider à monter un dossier pour faire des rénovations globales, voire conventionner le logement. Si on peut intervenir de manière directe on propose des petits travaux en ARA.  

> Votre intervention est donc adaptée à chaque situation rencontrée ?

Oui, nous essayons vraiment de réaliser un accompagnement sur mesure en fonction des situations des familles que nous rencontrons. J’ai en tête l’exemple d’un ménage qui avait commencé des travaux mais qui, avec l’arrivée de deux bébés dans la famille, n’avait pas pu les continuer. On les a donc accompagnés pour finir de poser le carrelage, installer leur cuisine, et on a également fait une médiation auprès du bailleur pour qu’il répare la colonne d’évacuation de la ventilation qui était fissurée. Chaque ménage est dans une situation particulière et il faut prendre en compte et traiter les problèmes de manière adaptée : le logement, la santé, etc.

> En quoi vos compétences habitat santé apportent une plus-value ?

Mon diplôme de conseillère habitat santé me permet d’avoir un discours adapté. J’arrive à étayer mes explications, je me sens plus pointue dans mes missions et donc davantage écoutée par les familles. Par exemple sur les grilles de ventilation lorsqu’elles sont bouchées : j’ai les moyens d’argumenter sur la qualité de l’air intérieur, la circulation de l’air dans le logement, undiscours documenté a plus d’efficacité pour convaincre les habitants et les amener à modifier leurs pratiques.

> Quels retours avez-vous de la part des ménages accompagnés ?

On a des retours rapides sur le confort mais sur les économies c’est plus long. Je milite plutôt pour un accompagnement long, pour moi l’accompagnement idéal serait de 18 mois car les changements d’usages et leurs impacts sont longs à observer. Les meilleurs résultats sont justement ceux que l’on considère dans la durée, un an après notre intervention, car cela prouve que les effets sont durables, installés. Des résultats un mois après, moi je n’y crois pas !

 > Qui sont vos partenaires et comment travaillez-vous avec eux ?

Nous avons un partenariat depuis très longtemps avec les travailleurs sociaux, qui nous connaissent bien et nous sollicitent. Chaque partenariat est organisé au cas par cas en fonction de la situation, on échange et on traite la solution ensemble. On s’adapte avant tout aux souhaits des habitants.

De manière plus globale, nos partenaires sont invités aux comités techniques de suivi que nous mettons en place localement. Les chefs de projet de l’association vont à la rencontre des communes pour faire connaître notre travail et qu’elles puissent en bénéficier. Les ateliers collectifs dans les centres sociaux sont aussi des lieux de rencontres avec les partenaires.

> Rencontrez-vous des difficultés particulières ? Des manques ? Des besoins pour réaliser au mieux votre mission ?

Mon rêve serait que les convecteurs soient interdits au même titre que les lampes à incandescence, cela m’aiderait vraiment dans mon travail. C’est difficile d’intervenir dans des logements où les équipements sont responsables d’une consommation excessive. D’ailleurs ça interroge les travailleurs sociaux et les habitants qui me demandent pourquoi on a encore le droit d’installer des équipements inefficaces qui surconsomment. Et c’est difficile, quand un équipement fonctionne, de convaincre un bailleur d’en changer. J’essaie de construire un argumentaire, je mesure le volume des pièces et si le chauffage n’est pas assez puissant je m’appuie sur le décret décence que le bailleur doit respecter, j’essaie de l’inciter à profiter de l’occasion pour remplacer les convecteurs par un système à inertie par exemple. Mais s’il se doit de louer un logement décent, équipé d’un chauffage suffisant ; en revanche, je ne peux pas lui imposer un modèle de chauffage.

> En conclusion, que pensez-vous de la manière dont est traité le phénomène de précarité énergétique sur le territoire ?

Les locataires sont les oubliés du système, or c’est notre public principal et on a peu de réponses à leur apporter. Il y a un décalage énorme entre les dispositifs qui existent et les besoins des ménages sur le terrain. Le chèque énergie est un coup de pouce mais ne suffit pas à lever la pression économique qu’il y a sur le ménage et qui est particulièrement stressante, ça ne ramène pas la sérénité. La précarité énergétique, le mal-logement ont un impact économique mais aussi psychique. Vivre dans les moisissures c’est insupportable, il faut tout jeter : la nourriture, les meubles, parce qu’à un moment ça va trop loin. Après il faut tout racheter et quand un enfant va à l’école et qu’il sent la moisissure, il est stigmatisé, la réalité des gens c’est ça ! Et je n’ai malheureusement pas du tout l’impression que la pression se relâche sur ces ménages.

Entretien réalisé le 24 novembre 2020 pour le RAPPEL.


[1] Membre du réseau national des Compagnons Bâtisseurs (ANCB), l’association des Compagnons Bâtisseurs Provence met principalement en œuvre des chantiers d’Auto Réhabilitation Accompagnée (ARA) à destination de personnes en précarité, accompagne les propriétaires occupants très modestes dans la réalisation de travaux liés à l’enveloppe du bâti, réalise des éco-diagnostics au domicile de personnes en situation de précarité énergétique, etc. Elle intervient sur les départements des Bouches du Rhône (13), du Var (83), du Vaucluse (84) et les Alpes Maritimes (06).

[2] Cette approche, basée sur l’entraide entre les habitants, favorise le transfert de compétences et de savoir-faire entre l’animateur et la famille, et permet d’améliorer le bien-être au sens large.

[3] Pôle départemental de lutte contre l’habitat indigne


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Portrait de membre :
Sandrine Rodot, Compagnons Bâtisseurs Provence

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