Réglementation environnementale 2020 : des arbitrages favorisant le chauffage électrique ?

Publié le 2 mars 2020
Source : Batiactu.com, novembre 2019 à février 2020


Débats autour de la RE2020

Le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire a annoncé le 14 janvier dernier les contours de la future réglementation environnementale des bâtiments neufs (« RE2020 ») dont certains arbitrages en faveur du chauffage électrique font l’objet de vifs débats.
Retours sur la polémique.

RE2020 : de quoi parle-t-on ?

La nouvelle réglementation environnementale (« RE2020 ») a été prévue par la loi ELAN et s’appliquera aux constructions neuves à partir du 1er janvier 2021. Elle vient remplacer la Réglementation Thermique 2012 (RT2012) tout en s’inscrivant dans un cadre plus large, celui de la lutte contre le réchauffement climatique dont les objectifs ont été énoncés lors de la COP 21. Les objectifs affirmés de cette nouvelle réglementation sont de diminuer les émissions de carbone des bâtiments, améliorer la performance énergétique et la baisse des consommations des bâtiments neufs, et mieux prendre en compte le confort d’été dans les logements.

La position des pouvoirs publics est claire : la neutralité carbone dans les bâtiments est le principal objectif du Gouvernement. Il s’agit de limiter l’utilisation des énergies fossiles et d’encourager l’utilisation de l’électricité comme énergie principale dans les bâtiments neufs (là où la RT2012 avait avantagé le gaz). Néanmoins, cela interroge sur la volonté du Gouvernement de mettre en place une trajectoire plus ambitieuse que l’existant concernant la performance énergétique des bâtiments neufs, et la réduction des factures des usagers.

Quels sont les arbitrages qui font débat ?

La RE2020 est en cours d’élaboration. Une nouvelle méthode de calcul doit permettre de fixer les seuils réglementaires à ne pas dépasser en ce qui concerne les émissions de carbone et les consommations d’énergie des bâtiments neufs. Pour ce faire, le Gouvernement prévoit de nouveaux paramètres pour les calculs réglementaires :

  • Le facteur d’émissions de CO2 de l’électricité utilisée pour le chauffage est fixé à 79 grammes/kWh consommé. Ce facteur exprime le nombre de grammes de CO2 émis par l’utilisation d’un kilowattheure électrique en France. Différentes méthodes de calculs prennent en compte aujourd’hui des valeurs sensiblement plus élevées : 210g pour le label E+C- (expérimentation censée préfigurer la RE2020), 180g pour le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), 147g pour la Base carbone® de l’ADEME.
  • Le coefficient de conversion entre énergie primaire (EP) et énergie finale (EF) électrique sera désormais fixé à 2,3 au lieu de 2,58 actuellement. L’ensemble des seuils et outils liés à la consommation d’énergie dans le bâtiment en France et en Europe (réglementations thermiques, étiquettes énergie, etc.) est aujourd’hui exprimé en énergie primaire (l’énergie disponible dans la nature avant toute transformation). Le coefficient d’énergie primaire (Cep) permet d’évaluer la quantité d’énergie totale nécessaire à la « production » d’1 kWh d’énergie finale (celle que l’utilisateur final consomme, et qui pour l’électricité, nécessite de nombreuses transformations et pertes d’énergie primaire). En d’autres termes, le nouveau coefficient vient à considérer, en tenant compte des pertes lors de la production, du transport et de la transformation du combustible, que 2,3 kWhEP sont nécessaires lorsqu’1 kWh d’électricité est consommé et facturé à un bâtiment, alors qu’il fallait 2,58 kWhEP auparavant.

Pour en savoir plus sur le coefficient de conversion, consulter l’article du RAPPEL sur le sujet.

Sur quoi portent les débats ?

Certains acteurs de la construction contestent ces arbitrages. Parmi eux, des experts de l‘efficacité énergétique (ingénieurs, architectes ou maîtres d’ouvrage), qui ont publié une  tribune qui a recueilli près de 2 000 signatures, et des organisations professionnelles (Association française du gaz, Amorce, Enerplan, etc.) qui ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre.

D’autres ont réagi favorablement, notamment les acteurs de la filière électrique parmi lesquels EDF, l’Union Française de l’Électricité (UFE) ou l’association Équilibre des énergies (Eden, au sein de laquelle on trouve EDF, Promotelec, Enedis ou RTE).

En cause, la justification des valeurs choisies et l’impact potentiel des choix constructifs qui en découlent :

  • La valeur du facteur d’émission de CO2 de l’électricité

Selon Thierry Rieser (Enertech), la donnée de 79g/kWh ne « reflète pas la réalité physique » puisqu’elle ne tiendrait pas compte des conséquences de la « pointe hivernale » (i.e. le pic de consommation électrique constaté en période hivernale du fait des besoins de chauffage accrus – un vrai casse-tête en France pour éviter les coupures de courant). Celle-ci oblige la France à avoir recours aux énergies fossiles à cause précisément du chauffage électrique : la puissance nucléaire installée en France ne suffit pas à fournir les besoins en électricité en période de pointe hivernale, et nécessite donc de mettre en route des moyens de production d’électricité complémentaires[1] (fonctionnant aux énergies fossiles) ou d’importer de l’électricité provenant de nos voisins (là aussi souvent produite à partir de sources fossiles). La valeur de 210 g/kWh de CO2 serait à ce titre plus réaliste dans la future réglementation, quitte à l’adapter au fil du temps aux évolutions du mix électrique français.

L’UFE estime sur ce point que  « les pouvoirs publics ont décidé de s’appuyer sur une méthode plus fine et plus proche de la réalité qu’auparavant. Ceci est indispensable si nous souhaitons atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone 2050. » Et l’association assure qu’en France « 1 kWh d’électricité en période de pointe hivernale est toujours moins carboné qu’1 kWh de chauffage au gaz en temps normal. » Pour EDF, « la valeur de 79g/kWh est justifiée. »

Au-delà de la fixation de cet indicateur, le débat porte sur la méthode de calcul employée pour déterminer ce facteur qui, selon les cas, varie de 79 à 500 g/kWh…

  • La valeur du coefficient d’énergie primaire

Pour les détracteurs, le coefficient d’énergie primaire « n’est pas un outil politique mais doit se baser sur des critères physiques objectifs » et devrait donc, pour l’électricité, se rapprocher du chiffre 3 en accord avec les règles européennes sur la performance énergétique des bâtiments qui fixent la méthode de détermination de ce coefficient par les États Membres.

Pour EDF, la fixation du Cep à 2,3 a du sens car il représente « une réalité physique sur un mix énergétique prospectif. » L’État a en effet fixé le nouveau coefficient à 2 ,3 sur la base du mix énergétique de 2035 (envisagé dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et dont rien aujourd’hui ne garantit qu’il sera atteint) et la durée de vie prévisionnelle des bâtiments neufs.

L’association EDEN quant à elle souhaiterait à terme que seule l’énergie finale (ou énergie consommée) soit prise en compte, en « bannissant tout recours à l’énergie primaire dans la réglementation. »

  • Ces dispositions plébisciteraient le chauffage électrique et notamment les systèmes moins performants et donc plus coûteux pour les ménages

La réglementation prévoit des seuils maximaux d’émissions carbone et de consommation d’énergie primaire pour la construction de bâtiments. Avec les nouvelles valeurs du facteur d’émissions et du coefficient d’énergie primaire, 1 kWh d’électricité finale sera moins carboné et moins consommateur d’énergie primaire. Les solutions de chauffage électriques seraient donc « artificiellement » plus avantagées qu’auparavant dans les projets de construction qui doivent se situer en deçà des seuils réglementaires. Ainsi, un même radiateur électrique « émettra demain 2,6 fois moins de carbone » et consommera 10% d’énergie primaire en moins « sans avoir rien modifié sur le fond. » Pour beaucoup cela va favoriser indéniablement le chauffage électrique et notamment les systèmes les moins performants et les moins coûteux à l’installation. Mais dont le coût à l’utilisation, du fait de leur faible performance et du prix élevé de l’électricité, viendrait aggraver la facture des ménages.« Nous avons donc un retour aux ‘grille-pains’ [chassés des logements collectifs neufs par la RT2012], qui consomment trois fois plus que les solutions électriques intelligentes [du type pompes à chaleur], mais cela n’ira pas au service de la lutte contre la précarité énergétique. »

Pour EDF, le fait de favoriser les solutions de chauffage électrique les moins performantes dépendra du niveau de performance requis par la réglementation. Si l’État fixe une obligation de 30kWh/m².an, « les solutions électriques ne passeront pas, de la même manière qu’elles ne passent pas aujourd’hui avec la RT2012 en collectif. » De nouveaux arbitrages sont donc encore attendus courant 2020 pour savoir quels équipements pourront, ou non, répondre aux exigences réglementaires.

Par ailleurs, le coefficient situé à 2,58 aujourd’hui, constituerait un « surcoût » pour la construction des bâtiments neufs, selon EDF, dans la mesure où cela « nécessite davantage d’isolation » : l’électricité étant aujourd’hui 2,58 fois plus consommatrice en énergie primaire que d’autres énergies, les logements neufs qui utilisent l’électricité nécessitent un surplus d’isolation pour respecter les seuils réglementaires de performance énergétique. Ainsi  « réduire le Cep de l’électricité revient à diminuer le coût de construction des logements chauffés à l’électrique » poursuit Olivier Grignon-Massé, chef de mission au département solutions innovantes et usages bas carbone.

Mais cela revient également à produire des logements neufs chauffés à l’électricité moins isolés et donc moins performants. Sur la base de la RT2012 qui exige une consommation maximale de 50 kWhEP/m².an, un logement neuf chauffé à l’électricité consomme actuellement, en énergie finale (celle consommée et payée par l’utilisateur final) : 50/2,58 = 19,4 kWhEF/m².an.

La révision du coefficient porterait cette consommation à 50/2,3 = 21,7 kWhEF/m².an, ce qui représente une hausse des consommations (et donc de la facture) de près de 11% pour le futur occupant.

  • Le nombre de passoires  énergétiques serait réduit artificiellement

Il existe en France 7 à 8 millions de passoires énergétiques, c’est-à-dire les logements avec une étiquette Énergie F ou G, dont 3,8 millions sont occupées par des ménages modestes.

L’étiquette Énergie est (pour le moment)  exprimée en énergie primaire. Ainsi, en réduisant le coefficient d’énergie primaire, une partie de ces logements chauffés à l’électricité deviendraient « théoriquement » plus performants et sortiraient donc de cette classification F ou G. Ce jeu de chiffres risquerait donc de diminuer l’ampleur du phénomène, d’améliorer statistiquement l’état du parc et avoir par conséquent pour effet de diminuer l’ambition de rénovation de ces passoires par le gouvernement et les moyens qui y sont consacrés. Sans toutefois que la facture des ménages vivant dans ces logements ne soit réduite…

L’UFE estime que le vrai sujet  « est celui de la précarité énergétique et du montant des charges qui pèsent sur certains ménages, en lien avec l’énergie consommée (énergie finale). D’où l’importance d’avoir décidé d’indiquer dans les futurs DPE la consommation en énergie finale et le montant des dépenses théoriques de l’ensemble des usages du DPE. Pour autant, que l’on change le coefficient d’énergie primaire de l’électricité ne doit, bien sûr, pas nous faire abandonner l’objectif de rénovation du parc existant. »

Un débat qui devrait se poursuivre…

Une nouvelle phase de concertation est prévue prochainement par le Gouvernement avec les acteurs du secteur. L’ensemble des paramètres de la future réglementation et notamment les niveaux de performance à atteindre seront ensuite arrêtés en vue de la publication des textes réglementaires d’ici l’automne 2020.

Consulter les articles du site Batiactu.com :

RE2020 : des experts de l’efficacité énergétique en colère, Novembre 2019

RE2020 : l’Etat fixe les règles du jeu pour une application en 2021, Janvier 2020

Réglementation 2020 et retour des « grille-pains » : les vérités d’EDF, Février 2020

RE2020 : l’Etat veut éviter le recours « massif » aux convecteurs électriques, Février 2020


[1] Il s’agit du « mécanisme de capacité »