« Interdiction » de location des passoires énergétiques : une mise en oeuvre pas si évidente

Publié le 15 mars 2023
Source : Intervention de Grégory Lagrange (ADIL 56), « Comment opérationnaliser l’intégration d’un seuil de performance énergétique dans le décret Décence ? » (Rencontres RAPPEL 2022)


Depuis le 1er janvier est entré en vigueur le seuil évolutif de performance énergétique à partir duquel un logement sera considéré comme non-décent, et donc impropre à la location. Si 32% des propriétaires bailleurs de passoires énergétiques prévoient la rénovation du bien du fait de la nouvelle norme de décence des logements, des difficultés et questions demeurent quant à la mise en application du nouveau cadre réglementaire.

En vue d’inciter les propriétaires bailleurs à rénover les passoires énergétiques mises en location, les lois Energie climat (2019) et Climat et résilience (2021) prévoient :

D’une part de diminuer la rentabilité locative du logement par le gel de l’augmentation des loyers pour les logements classés F ou G au sens du DPE, partout en France et à compter du 22 août 2022.

Et d’autre part de classer non-décent le logement loué afin d’en rendre plus difficile la mise en location : la décence des logements est conditionnée à leur niveau de performance énergétique. D’après le décret du 18 août 2023, pour être qualifié de décent et pouvoir être mis en location, un logement doit :

  • A partir du 1er janvier 2023 : consommer moins de 450 kWh d’énergie finale par m² de surface habitable et par an (ce qui concernerait moins de 200 000 logements) ;
  • À partir du 1er janvier 2025, afficher au moins la classe F du DPE ;
  • À partir du 1er janvier 2028, afficher au moins la classe E du DPE ;
  • À partir du 1er janvier 2034, afficher au moins la classe D du DPE.

Fixer des seuils légaux de décence énergétique implique de disposer d’un outil fiable pour justifier de la performance des logements : le diagnostic de performance énergétique (DPE) constitue donc la pierre angulaire du dispositif réglementaire. C’est notamment à cette fin que la méthode de calcul de DPE a été fiabilisée et unifiée pour tous les logements depuis le 1er juillet 2021. Le DPE est aussi devenu « opposable » : la responsabilité du bailleur peut donc être engagée s’il ne transmet pas volontairement le DPE ou si l’étiquette énergie  du logement s’avère erronée.

Présentant de nombreux bénéficies (socio-économiques, énergétiques, sanitaires, etc.), ce nouveau cadre réglementaire constitue un nouvel outil pour tenter d’éradiquer plus de 2 millions de passoires énergétiques (logements F et G) loués en France, souvent occupées par des ménages modestes. Toutefois, il pose certaines questions opérationnelles quant à sa mise en œuvre effective et son efficacité face à l’urgence.

Exceptions : les logements qui échappent à la loi

D’après la loi (nota en bas de l’article), le gel des loyers concerne les baux signés ou renouvelés après le 24 Août 2022. Donc par exemple des passoires thermiques F dont le bail a été renouvelé le 1er Août 2022 peuvent voir leur loyer évoluer à la hausse jusqu’en août 2025. Il faudra donc attendre 3 ans que tous les baux se renouvellent pour toucher tous les logements locatifs…

De la même manière, le seuil de décence de 450 kWh d’énergie finale par m² par an ne s’applique qu’aux nouveaux contrats de location conclus à compter du 1er janvier 2023 (voir article 2 du décret du 11/01/2021).

Par ailleurs, un décret du 8 avril 2022 prévoit des exceptions à la non-décence des logements locatifs aux mauvaises performances énergétiques. Ces dérogations concernent les logements soumis à des contraintes architecturales ou patrimoniales qui font obstacle à l’atteinte du niveau de performance requis, des contraintes économiques (disproportion importante entre le montant des travaux et la valeur du bien) ou encore techniques si les travaux de rénovation énergétique font courir un risque de pathologie au bâti. Sont également exclus du périmètre les logements en copropriété dont le bailleur démontre qu’il n’est pas en mesure d’atteindre le niveau de performance minimal malgré ses efforts (examen des solutions de travaux dans le communs ou en partie privative). Si ces dérogations ne remettent pas en cause le caractère non-décent du logement, le juge ne peut pas ordonner la réalisation de travaux, il pourra toutefois ordonner la réduction ou suspension du paiement du loyer.

Il est encore difficile à l’heure actuelle d’estimer le nombre de logements concernés par ces dérogations. Ces dernières ont fait par ailleurs l’objet d’une consultation publique en vue de les préciser dans le décret définissant les critères de décence d’un logement (décret n°2002-120 du 30 janvier 2002).

Des lacunes liées au DPE

Plusieurs éléments relatifs au DPE rendent difficile la possibilité de disposer d’une information fiable quant à l’étiquette énergie d’un logement, notamment pour le locataire à qui revient la responsabilité de signaler un situation de non-décence.

Le manque de visibilité sur le seuil de décence énergétique en vigueur jusqu’en 2025 

Celui-ci est exprimé en énergie finale, or le DPE est exprimé en énergie primaire, ce qui nécessite un calcul de coin de table pour juger de la décence ou non du logement.

La durée de validité du DPE 

Depuis 2007, le DPE doit être remis au locataire lors de la signature du bail et le renouvellement du bail ne donne pas lieu pour l’heure à la réalisation d’un nouveau diagnostic. La nouvelle réglementation prévoit des degrés de validité différents selon sa date de réalisation :

Source : ADIL 56

Le classement du DPE faisant foi pour déterminer la décence d’un logement, ces durées de validité variables rendent difficile cette appréciation pour un logement :

  • Qui ne dispose pas d’un DPE (logement loué avant 2007 et l’entrée en vigueur de l’obligation de fournir le diagnostic) ;
  • Dont le DPE n’est plus valide (cas où  le locataire occupe le logement depuis plus longtemps que la durée de validité du DPE – pas de remise en location entre deux) ;
  • Dont le DPE est vierge (autorisé avant le 1er juillet 2021 avec l’ancienne méthode de calcul, valide jusqu’en 2024).

L’opposabilité du DPE

Elle interroge notamment la responsabilité du diagnostiqueur et son éventuelle volonté de se couvrir en dégradant les étiquettes des logements diagnostiqués.

Les conséquences pratiques

Si la réglementation est de plus en plus précise, un certain nombre de conséquences  pratiques sont à prévoir et des questions se posent :

  • Un nombre non négligeable de logements vont échapper à la sanction au vu des exceptions accordées, notamment les logements situés en copropriété « inactives ».
  • Les petits logements dans les petites copropriétés sont pénalisés : mauvais voir très mauvais DPE et gain décevant malgré des travaux d’isolation.
  • Les propriétaires bailleurs vont-ils jouer le jeu ?
  • La non-décence n’est constatée qu’à partir du moment où le locataire fait un signalement. Le fera-t-il dans un contexte de tension locative sur une partie importante du territoire ?
  • De plus en plus de passoires énergétiques se retrouvent en vente sur le marché immobilier. Quelle sera la future utilisation : un logement loué vide aux normes actuelles ?
  • Cela entraîne un accroissement des congés pour vendre également. L’ADIL 56 constate une hausse de 59% de demande d’information sur le congé par le propriétaire
  • Voire peut-être des congés pour motif légitime et sérieux (envers le locataire actuel) pour des travaux de rénovation énergétique globale afin de relouer plus cher (au futur locataire).
  • La vacance des logements va-t-elle augmenter ?
  • Le contentieux judiciaire propriétaire/locataire va-t-il augmenter ?

« Mais pour autant, un certain nombre de bailleurs consultent les ADIL pour s’informer plus précisément sur la nouvelle réglementation. Face à ces demandes, il faut expliquer aux bailleurs que la rénovation énergétique présente un certain nombre d’avantages ».

Grégory Lagrange, ADIL 56

Pour aller plus loin : consulter le compte-rendu de l’atelier « Comment opérationnaliser l’intégration d’un seuil de performance énergétique dans le décret Décence ? » des Rencontres RAPPEL 2022.

Consulter également le communiqué de Rénovons ! : « Interdiction de location des passoires énergétiques : les propriétaires bailleurs seraient les grands gagnants ».

Consulter la Foire aux questions du Ministère de la Transition énergétique : « Interdiction de location et gel des loyers des passoires énergétiques ».