Portrait de membre : Mélanie Damien, médiatrice énergétique à l’association GRAAL

Publié le 15 mars 2021


Le GRAAL est une association Loi 1901 qui œuvre pour le droit au logement pour tous avec la volonté d’accompagner chacun dans son projet logement, qu’il soit locataire ou propriétaire. L’association poursuit les objectifs suivants : garantir le droit au logement pour tous, lutter contre l’habitat indigne et non-décent, adapter les logements au handicap et au vieillissement, promouvoir une gestion locative adaptée et sociale.

> Comment en êtes-vous venue à travailler sur la précarité énergétique, quel est votre parcours ?

J’ai une formation initiale de CESF [1] : en BTS les deux premières années puis en IRTS [2] pour la troisième. Dans ce cursus, on traite de manière très concrète tout ce qui constitue la vie quotidienne des ménages. Les questions d’énergie étaient donc abordées, dans une matière qui s’appelle « l’habitat », de manière assez pratique.

J’ai commencé à travailler sur le logement car cela me semblait être au cœur de la vie des ménages (la santé, le travail, etc.). J’ai été opératrice FSL [3] dans une association d’amélioration de l’habitat puis j’ai travaillé pour l’association Crésus qui a disparu aujourd’hui, mais je me suis rapidement aperçue que les aides proposées sur les questions énergétiques ne traitaient pas des problèmes de fond. On était sur des aides d’urgence, l’état du bâti était un peu laissé pour compte et on voyait des logements dégradés qui revenaient avec des familles différentes dedans.

Je me suis donc davantage intéressée aux problématiques de bâti. La mission du GRAAL m’a semblé à ce moment-là intéressante car elle rassemblait une vision sociale et des aspects plus techniques, auxquels je me suis formée sur le tas, avec une volonté de dépasser l’intervention sociale d’urgence pour essayer de traiter le problème de fond : les habitats dégradés et les problèmes énergétiques dans les logements.

> Quelles sont vos missions aujourd’hui ?

L’intitulé de mon poste est « médiatrice énergétique », même si au final la médiation n’est pas au cœur de mon travail. Je fais de la négociation aux travaux plutôt que de la médiation au sens strict.

J’interviens auprès des locataires en précarité énergétique et des propriétaires bailleurs qui louent des logements énergivores, dans le secteur privé.

J’accompagne à la fois le locataire dans ses difficultés économiques autour de la précarité énergétique et le propriétaire qui le souhaite (c’est de l’incitatif) dans la rénovation énergétique de son logement : sur les aspects techniques, financiers (dossiers d’aides aux travaux, dispositifs de défiscalisation s’il y a un conventionnement, etc.).

J’ai travaillé sur l’expérimentation « médiation précarité énergétique » portée par la ville de Lille pendant 2 ans (2015-2017), qui a ensuite été reprise par la Métropole européenne de Lille (MEL) et étendue sur ses 5 territoires dans le cadre d’un marché public. J’interviens pour ma part sur le territoire de Lille-Lomme-Hellemmes.

> À quoi ressemble le territoire sur lequel vous intervenez ?

Il s’agit d’un territoire urbain, avec beaucoup de petits logements (T1-T2), du chauffage électrique et des défauts d’isolation et de ventilation. Ces logements ne sont pas forcément gérés par des agences mais plutôt par des propriétaires qui les louent en direct.

J’ai quelques grosses copropriétés et très peu de maisons individuelles chauffées au gaz, ce qui est assez particulier sur le secteur dont je m’occupe (une de mes collègues active sur le secteur de Roubaix a beaucoup de maisons de 1930 chauffées au gaz, avec des rénovations très partielles qui ont été faites).

Sur Lille, le secteur est très tendu en termes d’offre de logements et de montant des loyers. Ce sont des logements qui ont été divisés, pour optimiser la rentabilité du bien mais sans penser au confort thermique. Pour simplifier la relation avec leur locataire et pour des raisons de coût des équipements, les bailleurs privés ont eu plutôt tendance à installer du chauffage électrique.  Beaucoup me disent ne pas avoir voulu mettre du gaz car cela nécessite d’entretenir la chaudière, et ils craignent que leur locataire ne réalise pas cet entretien. Pour eux, l’électrique est plus simple à gérer. 

> Comment intervenez-vous concrètement, quels sont les outils que vous déployez ?

On a une entrée locataire, donc en règle générale ce sont les locataires en situation de précarité énergétique qui se signalent auprès d’une association (opérateurs logement ou associations de locataires), de réseaux de bénévoles (Secours Catholique), du CCAS ou du service communal d’hygiène et de santé (SCHS) de la ville de Lille. Aujourd’hui, 60% des orientations nous viennent du SCHS, ce qui biaise un peu la suite de l’intervention car finalement on n’est déjà plus dans la médiation mais plutôt sur du coercitif. Il s’agit en général de petite indécence.

Depuis qu’on est passé en marché public, on a aussi quelques propriétaires bailleurs qui nous contactent en raison d’une injonction de faire des travaux reçue par la ville (ce qui les inquiète), ou parce qu’ils veulent bénéficier d’aides financières pour faire des travaux dans leurs logements locatifs. Nous avons aussi une « Maison de l’habitat durable » à Lille, portée et financée par la Métropole, qui est un endroit qui brasse pas mal de monde. Les propriétaires peuvent venir trouver des informations, rencontrer des juristes, des architectes, mes collègues chargés d’opération AMELIO+ et sont parfois réorientés vers moi.  Dans le cadre de la « médiation précarité énergétique », je ne peux intervenir que s’il y a un locataire dans les lieux : on ne pourra pas proposer de réponse en termes de petits travaux aux bailleurs si le logement est vacant. Mais ces situations de bailleurs « volontaires » représentent un peu moins de 5% des dossiers que je suis.

Une fois qu’on a identifié les locataires, on leur propose un premier contact téléphonique, puis rapidement une visite à domicile pour faire un diagnostic sociotechnique qui dure en moyenne 1h30. On fait alors la visite technique du logement, le point au niveau social sur les démarches entreprises par le locataire, sa volonté ou non de rester dans le logement, puis on définit ensuite une stratégie. Il y a souvent un travail réalisé sur les consommations, une réorientation au niveau social et une médiation de travaux qui est tentée avec le bailleur (même si parfois des locataires ne souhaitent pas que ce dernier point soit travaillé – ce qui est assez rare), voire un soutien dans les démarches juridiques si on en est déjà là.

En cas de médiation, un premier contact téléphonique est alors proposé au bailleur. C’est toujours moi l’interlocutrice, et je lui fais alors part du diagnostic technique, du besoin de travaux avec des préconisations assez précises, et des éventuelles aides financières dont il pourrait bénéficier. Ce premier appel est important car il faut par la suite que le bailleur puisse avoir confiance dans la démarche engagée, d’autant plus que dans une majorité de cas celle-ci est coercitive puisque le signalement provient du SCHS.

> Justement, comment êtes-vous accueillie par les propriétaires ?

On est rarement bien accueillis lors de ce premier contact, ce n’est pas chaleureux. Je ne sais jamais qui je vais avoir en face de moi. En général, le propriétaire est plutôt sur la réserve au départ et ne me voit pas comme une alliée, il y a donc un travail important d’explication de la démarche.

Dans le premier entretien avec les locataires, on insiste généralement sur le fait qu’il vaut mieux qu’ils évoquent avec nous tous les aspects de leur relation avec leur bailleur, mais ensuite on a toujours la version du bailleur qui est évidemment assez différente. On a tenté d’autres approches, comme par exemple inciter les locataires à envoyer un courrier à leur bailleur, lorsqu’il n’y a jamais eu d’échanges à ce sujet entre les deux parties, pour qu’ils puissent expliquer les problématiques qu’ils rencontrent. Mais finalement, on s’est rendus compte que cela ne fonctionne pas forcément, que tant qu’on ne va pas vraiment « chahuter » le bailleur, il ne se passe pas grand chose.

Quand on sent qu’on a en face de nous des gens de bonne volonté, qui ont besoin d’être rassurés suite à la réception du courrier du SCHS, on peut passer plus rapidement à la phase suivante et concrète autour des dispositifs d’aides. Là, on a une écoute car il y a des aides aux petits travaux plutôt incitatifs sur Lille : la Ville, la Métropole et le Département du Nord distribuent des aides en dehors des dispositifs ANAH, qui sont en général les seuls que les propriétaires connaissent de prime abord et qui peuvent les effrayer car ils sont assez lourds et contraignants.

Pour ceux qui sont de moins bonne volonté, qui essaient de gagner du temps, de trouver des excuses, on repasse vers le SCHS pour les mettre face à leurs responsabilités et ne pas perdre de temps.

Tout cela nécessite une vraie formalisation des choses et des outils particuliers : le locataire a un rapport de visite qui lui est remis à l’issue du diagnostic sociotechnique. De mon côté, lors du premier contact avec le bailleur, je fais systématiquement un relevé des échanges pour garder une trace de ce qui s’est dit et des engagements qui ont été pris ensemble. Cela permet de revenir ultérieurement à ce premier échange si le propriétaire joue un peu la montre par la suite.

Quand ça se passe bien, on repasse sur un accompagnement assez classique d’aide aux travaux : étude des devis, mobilisation des aides financières, suivi du projet de travaux jusqu’à la réception, puis appropriation des nouveaux équipements par le locataire si celui-ci est toujours dans les lieux à l’issue de la démarche.

> Quelle est la nature et l’objectif général de ce qui est négocié avec le propriétaire, le type de travaux réalisés ?

On est sur une moyenne de travaux autour de 5 000 euros.

La meilleure porte d’entrée pour ces travaux est la ventilation, puisque c’est ce que le service d’hygiène peut reprocher à un logement qui crée de la précarité énergétique aujourd’hui : c‘est un problème d’humidité visible et donc un défaut de ventilation. C’est le cas dans 90% des logements sur lesquels j’interviens.

On travaille aussi beaucoup sur les appareils de chauffage : on reste sur de l’électrique, mais avec des appareils plus performants (par exemple, installer des radiateurs à inertie avec programmation). On a pas mal de logements avec une hauteur sous plafond de 3 mètres, ce qui rend difficile d’atteindre une température satisfaisante si les équipements sont sous-dimensionnés. Donc on explique aux propriétaires qu’il faut installer un peu plus d’appareils pour avoir davantage de puissance et permettre à leur locataire de se chauffer convenablement. On essaye parfois aussi de leur suggérer de réduire la hauteur sous plafond, mais c’est mal entendu par les propriétaires car ils estiment qu’ils vont perdre ce qui fait le cachet de leur logement.

On peut également envisager le remplacement de menuiseries (souvent en lien avec la ventilation). En isolation, là aussi c’est difficile à engager car il faut souvent isoler par l’intérieur puisqu’on est majoritairement dans des petites copropriétés, avec des décisions de travaux complexes en isolation par l’extérieur. Mais une isolation par l’intérieur implique de perdre 15 à 20 cm de surface au sol et donc potentiellement une diminution du loyer et de la valeur du bien. On y arrive, mais on travaille souvent sur un mur ou une pièce particulièrement déperditive. On n’arrive jamais à faire l’isolation complète du logement par l’intérieur, car le prix du m2 à la location vaut de l’or.

Il arrive aussi que notre intervention ne serve qu’à faire les travaux de décence, à travailler juste la ventilation, mais en s’assurant que ce soit bien fait : poser une ventilation hygroréglable au lieu d’une ventilation classique, éviter que le propriétaire crée une aération naturelle mais installe plutôt une ventilation mécanique. Dans ce cas, les travaux servent au propriétaire à ne plus se voir reprocher la non-décence de son logement, mais cela n’améliore pas le niveau des factures pour les ménages. Il arrive que des propriétaires fassent ces travaux de mise en conformité, et qu’ils reviennent plus tard nous voir pour passer à la suite car leurs nouveaux locataires rencontrent les mêmes difficultés que les précédents, malgré les interventions de mise en décence qui ont été faites sur le logement… Il faut parfois du temps aux propriétaires pour se rendre compte de la problématique et passer réellement à l’action.

> Quel est l’accompagnement proposé au bailleur ?

Pour les bailleurs, nous proposons l’étude technique des devis et la mobilisation des aides aux travaux. Sur Lille, elles sont au nombre de trois : pour les locataires qui ont des ressources modestes (en dessous de deux RSA), on peut mobiliser les aides du Département au travers du dispositif « Nord Énergie Solidarité », qui permet de financer deux postes de travaux sous forme de prime (isolation, ventilation, menuiserie, mise aux normes électrique…). Cette aide du Département peut être cumulée avec une aide de la MEL, qui est de 50% du montant des devis et plafonnée à 2 500€, et pour laquelle les travaux doivent être réalisés par une des quatre entreprises conventionnées avec la MEL.

Pour les locataires au-dessus de deux RSA de ressource et qui ne peuvent bénéficier ni de l’aide de la MEL ni de celle du Département pour diverses raisons, la ville de Lille a elle aussi mis en place une aide exceptionnelle, qui permet de financer 50% du devis dans la limite de 2 000 € par logement, ce qui permet de faire du sur-mesure. Il n’y a pas de plafond de ressources pour ces locataires  dans la mesure où ils ont été identifiés comme étant en précarité énergétique, il s’agit souvent de salariés modestes ou de personnes âgées. Le filtre est opéré en amont, dans le parcours d’identification des locataires. L’avantage c’est que cette aide permet d’éviter des effets de seuil très forts.

> Qui sont vos partenaires ?

Tous ceux qui sont à l’origine de l’orientation et que j’ai déjà cités plus haut : SCHS de la ville de Lille, Maison l’habitat durable, associations dans le champ du secteur social et caritatives.

Parmi nos partenaires opérationnels, on retrouve les acteurs sociaux vers qui on réoriente pour la recherche de logement ou pour les aides aux impayés d’énergie. Les partenaires financeurs et institutionnels sont les mêmes : Ville, Département et MEL.

Ce ne sont pas exactement des partenaires mais c’est important de les citer : tous mes collègues chargés d’opération AMELIO+, qui accompagnent des propriétaires bailleurs dans le cadre des dispositifs de l’Anah, qui interviennent sur les copropriétés, etc. et qui donnent une autre dimension au dispositif pour lequel j’interviens en termes de réorientation. Je commence à identifier pas mal de copropriétés que l’on peut réorienter vers le dispositif dédié d’AMELIO+, et donc je fais aussi du repérage pour ce dispositif.

> À la fin de votre intervention, comment l’action vous semble perçue par les locataires et les bailleurs ?

Le plus important, c’est le fait de légitimer la difficulté du locataire : on pose des éléments concrets et précis sur leur situation, on leur explique ce qu’ils peuvent changer eux, en tant que locataire, et ce qui est du fait du logement et de leur propriétaire. On les outille sur leurs marges de manœuvre, on leur redonne les moyens d’agir, par exemple en leur expliquant qu’ils peuvent mener une action en justice contre leur bailleur pour trouble de jouissance. On leur donne le choix et le temps de travailler autour de solutions qui leur correspondent, que ce soit un souhait de relogement quand le vécu est trop difficile, d’intervention auprès du propriétaire ou de petits travaux. On les sort d’une situation où ils ne font que subir, et c’est vraiment l’impact le plus important à mon sens.

Ce qui est positif dans cette action c’est de sortir de la logique qui consiste à changer les locataires de logement sans résoudre le problème à la base : là, dans tous les logements où on passe, quand il y a eu un échange possible avec le propriétaire et qu’on a réussi à mettre un diagnostic technique et des mots sur ce qui pourrait être fait, il y a une démarche qui est déjà enclenchée. On fait prendre conscience au bailleur de sa part de responsabilité dans la situation, et qu’il ne peut pas juste considérer que les questions d’impayé c’est le problème du locataire. Là, on rentre dans du concret, on est sur des éléments factuels qui ne sont pas contestables et on pose de vraies bases pour avancer.

> Vers qui renvoyez-vous les locataires à qui vous conseillez une action en justice ?

Au départ, dans le cadre de l’expérimentation menée sur la Ville de Lille, on les renvoyait vers l’ADIL car on n’avait pas de service juridique en interne. Le marché public nous a permis d’engager une juriste au GRAAL, qui intervient beaucoup sur les questions de lutte contre l’insalubrité (qui est un volet compris dans AMELIO+). Je la sollicite pour donner des informations aux locataires. Ça n’arrive pas souvent car en général les locataires n’ont pas envie d’aller dans cette direction. Mais quand ils le souhaitent on peut déjà les aider à rédiger un courrier qui acte les problèmes et qui permet, si le locataire souhaite ultérieurement aller vers une procédure judiciaire, de prouver qu’un premier courrier a déjà été envoyé (avec date et demande de mise en conformité par le locataire). En 3 ans, j’ai deux ou trois ménages qui sont allés au bout de la démarche, et deux ont obtenu des dommages et intérêts. Mais il y avait d’autres points de non décence, pas qu’une situation de précarité énergétique.

> Quelles sont selon vous les compétences et qualités nécessaires à la réalisation de votre métier ?

La patience ! Il faut prendre le temps d’écouter chacun. Le discernement aussi. Il ne faut pas prendre pour argent comptant ce qui nous est dit. C’est important aussi d’être structurant et cadrant. J’ai l’impression de passer mon temps à remettre du cadre, du sens, à redéfinir les responsabilités des uns et des autres.

J’essaye aussi d’être dans la communication non violente, d’utiliser des techniques d’écoute et de reformulation qui permettent d’aller au fond des choses, et ça c’est un travail sur lequel j’aimerais encore me former.

> Qu’est ce qui bloque encore aujourd’hui, de quoi auriez-vous besoin pour réaliser vos missions de manière optimale ?

Un marché public, c’est à la fois assez porteur car cela permet de faire du lien avec des interventions plus importantes que les petits travaux, mais c’est aussi très contraignant car on perd un peu la force d’innovation qu’on peut avoir quand on est en phase d’expérimentation. Les cadres d’intervention sont définis en termes de facturation, et c’est compliqué d’en sortir. Ça peut être frustrant pour moi de ne pas pouvoir inventer des choses ou sortir un peu de ce qui est établi.

Aussi, nous sommes aujourd’hui vus comme des opérateurs de ce marché public, et la conséquence c’est que par rapport à la phase d’expérimentation, on est un peu moins dans la co-construction. C’est dommage, l’action est de fait un peu moins portée qu’au démarrage. La contrepartie c’est qu’on a pu la déployer dans toute la Métropole et donc accompagner davantage de locataires.

La ville de Lille reste néanmoins très porteuse et volontaire sur cette question de la précarité énergétique, et donc coordonne fortement une diversité d’acteurs sur son territoire, ce qui permet de sentir une vraie dynamique et d’agir en coordination avec beaucoup d’autres intervenants, en réseau.

Sur Lille, la grosse difficulté c’est le prix des loyers. Un encadrement des loyers a été mis en place mais il n’y a pas de contrôle, et je dirais que deux tiers des logements que je visite ne respectent pas cet encadrement. On en informe le locataire et ça s’arrête là. Le service hygiène ne peut pas intervenir car c’est du contractuel entre le locataire et le propriétaire. Donc dans un monde idéal, on mènerait des contrôles avec une action vraiment coercitive par rapport à ce coût des loyers. Dans la mesure où tout se loue un peu à n’importe quel prix, les propriétaires n’ont pas beaucoup de contrainte. Le Diagnostic de Performance Energétique opposable au propriétaire permettra sans doute d’améliorer cet état de fait. Des logements de classe G ne doivent plus être louables du tout, ce qui forcerait des propriétaires à se poser des questions : comment je peux gérer différemment mon patrimoine ? Est-ce que je reste propriétaire si je ne peux pas réaliser des travaux ou si ça n’est plus rentable pour moi de le faire ? On a besoin de quelque chose de plus musclé que l’incitatif qu’on a aujourd’hui car ça n’est plus suffisant.

Et 90% des logements dans lesquels j’identifie des problèmes sont chauffés à l’électricité. La question du chauffage électrique est centrale, car ce sont des gouffres financiers. J’ai parfois des propriétaires qui mettent des chauffages électriques programmables bas de gamme, dont la programmation ne fonctionne pas ou avec une notice illisible, et qui me disent ensuite : « écoutez, moi j’ai fait ma part, si le locataire ne sait pas utiliser les équipements ce n’est plus mon problème ». C’est sûr que l’enjeu c’est bien d’isoler l’enveloppe, car au final changer le mode de chauffage ça ne change pas grand chose…

Le seul discours qui marche aujourd’hui auprès des propriétaires bailleurs, c’est celui de la rentabilité économique de leur bien. Je suis encore régulièrement perplexe devant le profil de certains propriétaires décomplexés qui me disent : « ça va, ça reste du locatif et de l’investissement locatif, on ne va quand même pas aller vers un logement trop performant ». Souvent les propriétaires sont loin, on n’échange que par téléphone, ils n’ont parfois pas visité leur logement depuis des années et donc leur locataire en souffrance, encore moins. Ces questions sont éludées, c’est facile de fermer les yeux.

J’arrive un peu à faire entendre aux propriétaires que la moisissure ne se développe pas par le seul effet du locataire, qu’elle peut être augmentée par un mésusage du logement par l’occupant, mais s’il y a de la moisissure il y a forcément un défaut sur le bâti à l’origine (défaut d’isolation, de ventilation, etc.).

Ce à quoi je crois le plus, c’est d’outiller les locataires. Si on réduit l’offre de locataires qui acceptent de vivre dans ces logements inchauffables, on brise un peu le système. Il faut sensibiliser les locataires et leur donner les moyens de se défendre face à ces situations. Les propriétaires ne veulent pas être taxés de marchand de sommeil, donc plus les locataires leur feront remonter par des moyens juridiques que leur logement n’est pas correct, plus on aura de passage à l’action.

Aussi, j’ai vraiment l’espoir qu’avec un DPE opposable, je ne sois plus obligée de courir après un propriétaire qui minimise le problème, mais que ce DPE devienne un outil pour lui montrer qu’ilsn’a pas le choix. Là, ça changera complètement l’accompagnement pour nous, puisqu’on travaillera avec des gens volontaires. Je passe plus d’un tiers de mon temps à essayer de convaincre, à faire des relances, à ne travailler qu’avec de l’incitatif, sans être trop insistante et en mâchant mes mots parce que sinon je perds complètement l’adhésion du propriétaire. Donc ce changement législatif pourrait inverser la tendance, j’ai l’espoir qu’on ait alors plus de demandes des bailleurs pour être accompagnés sur ces questions énergétiques.

> Une « bonne recette » à partager ?

Être très factuel, faire un maximum d’écrits, donner des rapports de visite, faire des relevés d’échanges. Ça permet vraiment de cadrer la démarche, légitimer la demande du locataire et mettre le propriétaire face à ses responsabilités. On laisse ensuite le choix au locataire d’utiliser cette matière ou pas, mais il a une trace qu’il pourra ressortir plus tard.

> Dans 10 ans, où vous imaginez-vous ?

La réalité locale est tellement importante dans notre mission qu’elle pourrait être pleinement intégrée dans un service communal pour être portée par la collectivité elle-même. A l’échelle d’une agglomération comme la nôtre, la réalité du terrain et des divers partenaires est tellement différente d’un territoire à l’autre que c’est difficile d’avoir une méthodologie commune. Peut-être que dans 10 ans, cette question de la précarité énergétique et de la lutte contre les logements passoires dans le parc locatif sera tellement importante qu’il y aura un service de médiation et d’accompagnement au sein des collectivités. La bonne volonté des acteurs a ses limites, et parfois on se sent tout seul face à des situations inextricables. L’ampleur du problème d’aujourd’hui et de demain, avec tous les enjeux autour du changement climatique et des conséquences sur le confort d’été, nécessite un portage vraiment fort pour que ce type de mission ait un impact plus important, pour changer d’échelle. L’enjeu c’est de sortir de l’image de bobos qu’on peut avoir quand on parle de matériaux écologiques ou de logements bien isolés. La réalité va bien au-delà, tout ce qu’on veut c’est des gens qui ne soient pas malades dans leur logement.

Entretien réalisé le 2 novembre 2020 pour le RAPPEL.

Retrouvez l’intervention de Mélanie Damien lors de la rencontre annuelle 2020 du réseau RAPPEL : « Quels recours et quel accompagnement pour les locataires occupant un logement non-décent ? »


[1] Conseillère en économie sociale et familiale
[2] Institut régional des travailleurs sociaux
[3] Fonds solidarité pour le logement

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Portrait de membre :
Mélanie Damien, médiatrice énergétique à l’association GRAAL, RAPPEL, mars 2021.

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